DE LA DIFFICULTE DE REFORMER EN FRANCE

 

 

         DE la DIFFICULTE de REFORMER en FRANCE

 

  

” Si tu veux faire la paix avec ton ennemi, essaie de parler avec lui. Il deviendra peu à peu ton partenaire “. Cette phrase – prêtée à Nelson Mandela – est un concentré de réflexion philosophique pour l’action  politique.

 

Cette maxime est aussi une illustration de la récente politique “réaliste” allemande (Realpolitik)- où après trois mois d’âpres et longues négociations, la CDU d’ Angela Merkel et le SPD de  Sigmar Gabriel (adversaires d’hier) se sont mis d’accord sur un programme de gouvernement de coalition-pour continuer à réformer sans heurts la société allemande – ceci en signant un document de plus de cent pages / document de référence.

 

Du point de vue de l’économie politique, l’intérêt des coalitions est évident. Lors d’une réforme sociétale, au-delà des très nombreux gagnants (les majoritaires), il y a toujours quelques  perdants (les minoritaires). Et ces perdants ont souvent un pouvoir de nuisance-voire de blocage.

 Le pouvoir exécutif démocratique (hormis les régimes autoritaires et dictatoriaux) a alors deux solutions : soit surseoir à la réforme, soit  trouver un compromis.

Le compromis prend nécessairement toujours du temps- et ne débouche pas forcément sur la solution idéale. Mais le compromis tient compte des réalités et des opinions divergentes, et il permet de faire évoluer la société sans trop de heurts.

Le statu quo quant à lui  (surseoir à la réforme) n’est jamais une situation pérenne , et est toujours une reculade / eu égard à l’obstacle. Le statu quo  finit quand même par se dénouer, mais bien rarement dans le calme et la quiétude malheureusement.

 

Le lecteur comprendra de quel côté penchent les Allemands, et quelle est en général l’inclinaison française.

 

 

Nous sommes en France les champions du monde du pessimisme ambiant.  

Par ailleurs, l’administration centralisée et toute puissante freine terriblement l’esprit d’entreprise, et nombre de nos jeunes investisseurs (talentueux et courageux) quittent hélas la France et partent entreprendre loin de chez nous.

 

Notre modèle économique – social – universitaire est  “fatigué” et à bout de souffle. Notre dépense publique est parmi les plus élevées du monde et va vers l’explosion, et notre état ne parvient plus à financer ses fonctions régaliennes. La Défense doit compter par exemple sur la vente hypothétique d’avions Rafale pour boucler son budget 2014 !!! 

 

Nous savons pourtant parfaitement quelles réformes il nous faut conduire

(voir les rapports Beffa, Pebereau, Attali, Spitz , Gallois,….et tous ceux à venir). Tout le monde recommande une réduction drastique du mille-feuille français politico – administratif, et personne n’a le courage politique d’agir. 

Il faudrait pourtant parvenir à supprimer le Sénat,  supprimer le Conseil Général, réunir certains départements en une entité unique (la seule tentative récente de fusion haut Rhin et bas Rhin apparemment simple et faisable s’est hélas soldée par un échec cuisant).

 

 

POURQUOI donc  en matière de réforme tout est si compliqué en France , et pourquoi si peu se passe  ??

 

Pourquoi – au pays des Lumières – et de la volonté si fortement affichée de partage par les démocrates de 1789 – les corporatismes exacerbés de tous poils mènent ils aujourd’hui en permanence des combats et guerres d’un autre âge ??

 

Nous disposons  d’une sorte de “génie national des petites querelles” – symbolisé par Astérix – Obélix – et Jules César. Nous nous replions sans cesse sur nos individualismes égoïstes – et faux “petits” avantages d’un passé révolu.

 

Et pourtant, la France dispose d’énormément d’atouts : son histoire – sa géographie – son climat – ses paysages – son école – ses innovations, ses talents, ses savoir-faire partout reconnus dans le monde et si appréciés.

 

Il est possible aussi que le régime politique présidentiel de la Cinquième République ait atteint ses limites. Notre régime actuel, celui du Général de Gaulle (efficace en son temps) – certes modifié et amendé depuis – n’est plus tout à fait adapté aujourd’hui à notre économie ouverte et mondialisée.  

Une centralisation trop forte a du mal à gérer la complexité et la diversité ; or notre société est complexe – et va l’être toujours plus.  D’ailleurs, il sera intéressant de voir – d’ici à vingt / trente ans – comment va évoluer la Chine – qui partage avec nous la France une tradition séculaire de fonction publique très forte et dominatrice.

 

Du point de vue de l’économie politique, notre Cinquième République a un défaut rédhibitoire : elle polarise, elle écrase  le centre et les centres (Alain Duhamel). La bipolarisation a des inconvénients majeurs. Elle conduit le candidat à la présidence de la république à rechercher (au premier tour de l’élection présidentielle) des alliances aux franges de sa majorité. Il en découle donc des discours et des promesses, qui vont aider le candidat à franchir le premier tour et le qualifier pour le second, mais qui vont l’empêtrer ensuite durant toute sa mandature – une fois élu président au second tour.

 

On rétorquera, comme le disait Jacques Chirac, que “les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent – rarement ceux qui les ont formulées “. Oui ,certes, mais tout celà finit par nuire considérablement à la crédibilité des partis politiques  de gouvernement , ….d’où soit la désaffection des citoyens électeurs  envers le ” tous pourris”, soit leur report vers les partis extrêmes par colère et dépit .

 

La bipolarisation française  empêche la naissance des coalitions intelligentes et efficaces ” à l’allemande “. 

Que ce soit avec Michel Rocard ou sous Nicolas Sarkozy, les tentatives d’ouverture ont hélas toujours échoué.

De surcroît, le régime présidentiel fort, en laminant les corps intermédiaires, notamment les assemblées parlementaires ( aux pouvoirs bien restreints pour ne pas dire quasi nuls), rend difficile l’apparition d’un champ politique où la coopération et le “donnant – donnant” pourraient prendre corps efficacement.

 Voilà pourquoi l’exécutif français – quelle que soit sa couleur – a tant de mal à faire évoluer notre société française – qui en a pourtant tant besoin.

 

Sur la durée, l’histoire montre que la France – toujours au confluent des différents courants européens et mondiaux ( la Réforme – les Lumières – la Révolution industrielle – l’Union européenne – la Révolution numérique….) finit quand même par se réformer et par épouser la modernité – mais souvent hélas en s’embrasant .

 

Ne perdons pas espoir, nous arriverons à surmonter ensemble l’épisode actuel de déprime collective -savamment entretenue par nombre de medias irresponsables et par des gourous de toutes sortes.

 

Sachons , en ce début d’année 2014, considérer la bouteille à moitié pleine plutôt qu’à moitié vide – sereinement .

 

Très bonne année en tout cas à tous  – pour entreprendre les réformes nécessaires dans notre cher vieux pays – et donc ainsi aller de l’avant ensemble avec un optimisme raisonné. 

 

 

Claude Laurens.

Vice Président du groupe régional Provence des Anciens Elèves de Sciences Po Paris 

Administrateur du GRECO